Le peintre viennois Drago Persic fait émerger de sa peinture noire des objets du quotidien, des personnages vus de dos. Par des effets de mises en scènes et d’éclairages, l’artiste semble raviver ces éléments plongés dans une forme d’abime. Les cadrages ne coïncident pas exactement avec les sujets représentés. Les corps se voient décapités, les objets tronqués. Ce parti pris confère à l’ensemble une tension dramatique exacerbée par le vide et la lumière.
L’installation monumentale “Shot” (2010) reprend à plusieurs reprises le motif de tissus froissés. Reproduits de manière réaliste, les vêtements flottent à la surface de la toile, alors que le fond noir reste indéfini et abstrait. Doit-on y voir la chute d’un corps ou l’évocation d’un moment suspendu ? Inutile de chercher ici des éléments contextuels. Cette peinture se dérobe et laisse le spectateur démuni. La répétition du motif dans un format panoramique, l’accrochage de plusieurs pan-neaux légèrement décalés, ne sont pas sans rappeler les œuvres inspirées de l’univers médiatique de Robert Longo, no-tamment la série du début des années quatre-vingts intitulée “Men in the Cities”. Sur de grands formats, l’artiste dessine au fusain des hommes et des femmes sur un fond d’un blanc immaculé, dans des positions contraintes. Leurs corps contor-sionnés se replient sous l’impact d’un probable uppercut. Chez Drago Persic, nulle violence. Les objets paraissent esseulés, surgissant du fond de l’image. L’éclairage ciblé sur chacun d’eux invite le spectateur à y prêter plus d’attention. La finesse et la précision du rendu de l’objet ainsi que le modelé de la touche incitent à ralentir notre consommation de l’image.
Dans toutes ses séries, les fonds uniformes très sombres ou très clairs permettent aux objets de se détacher de manière immobile. Ils se soustraient ainsi à la réalité. L’artiste interroge, dans ses travaux les plus récents, la survivance du noir en peinture, largement employé au XVIIe siècle pour ajouter à la dramaturgie des scènes de martyrs traitées en clair-obscur. Comme dans le “Saint-Serapion” de Francisco de Zurbarán (1628), le tissu tendu de “Untitled” (2011) occupe toute la sur-face du tableau. L’homme est absent, il n’en reste que les vêtements. Le regard se concentre alors sur la manière dont les plis accrochent la lumière et sur la dextérité avec laquelle Drago Persic parvient à obtenir des effets quasi photographiques, par une palette restreinte, exclusivement composée de noir, de blanc et de gris. De ces œuvres hyperréalistes se dégage une certaine artificialité, qui peut faire penser aux œuvres textiles de Haether Cook. Cette artiste fait illusion avec ses tissus suspendus au mur recouverts de plis en trompe-l’œil obtenus par de fines gouttelettes d’eau de javel. Dans les deux cas, les artistes n’hésitent pas à concilier une approche rigoureuse et conceptuelle à la sensualité de l’objet peinture.
Dans ses films, Drago Persic exprime pleinement sa recherche de sobriété et de mise en lumière de divers éléments sur fonds sombres. Sensible à l’univers cinématographique de François Truffaut et de Jean-Luc Godard, il s’intéresse aussi à l`archéologie des médias, déjà perceptible dans le sujet de ses peintures où figure par exemple un support à projecteur de diapositives (Sans titre, 2009). Son dernier film reprend des images numériques sur un support 8mm. Il cherche ainsi à déconstruire les principes de la vision en réinvestissant des pratiques anciennes par la nouvelle technologie. Alors que certains vouent une véritable fascination aux techniques de l’image, aux effets spéciaux obtenus au prix d’innombrables heures de travail, Drago Persic emploie tout son talent à former, avec une certaine objectivité, une aura autour d’objets bien réels.
Alexandra Fau
Published 2013
Projections: vers d’autres mondes
Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, France
ISBN 2-913981-49-6